"S´il existe des écrivains de l´aube, il en est d´autres au contraire qui attendent que tout, autour d´eux, se soit éteint pour commencer à écrire. Face à une modernité qui n´a cessé de célébrer, à l´orée du XXe siècle, l´aurore d´une nouvelle ère, Thomas Mann (1875-1955, prix Nobel de littérature en 1929) s´est voulu le dernier créateur à hériter, au nom de la noblesse de l´esprit, de la culture européenne d´hier. Aussi faut-il dès lors lire toute son oeuvre romanesque, des Buddenbrook (1900) à La Montagne magique (1924) et de la tétralogie de Joseph et ses frères (1934-1943) au Docteur Faustus (1947), comme la voix même de la ""Sehnsucht"", un monument à la louange de ce qui a été et ne sera plus. Ce serait là fixer la création littéraire au dernier moment de sa possibilité, là où le roman peut encore advenir comme texte ultime. Car c´est bien à une cérémonie des adieux que nous convie celui que l´on a appelé le magicien de la littérature allemande de ce siècle. Sommes-nous prêts, nous ses lecteurs d´aujourd´hui, à devenir les spectateurs de ce crépuscule du sens ? Et à quoi bon écrire quand le monde croule ? Ainsi se formule, dans l´oeuvre de Thomas Mann, la question la plus difficile mais aussi la plus passionnante - sans doute la dernière interrogation de notre littérature européenne.
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Pascal Dethurens, ancien élève de l´Ecole Normale Supérieure, est Professeur à l´Université de Strasbourg, où il dirige l´Institut de Littérature Générale et Comparée. Il est l´auteur de plusieurs livres sur la littérature européenne du XXe siècle."
"S´il existe des écrivains de l´aube, il en est d´autres au contraire qui attendent que tout, autour d´eux, se soit éteint pour commencer à écrire. Face à une modernité qui n´a cessé de célébrer, à l´orée du XXe siècle, l´aurore d´une nouvelle ère, Thomas Mann (1875-1955, prix Nobel de littérature en 1929) s´est voulu le dernier créateur à hériter, au nom de la noblesse de l´esprit, de la culture européenne d´hier. Aussi faut-il dès lors lire toute son oeuvre romanesque, des Buddenbrook (1900) à La Montagne magique (1924) et de la tétralogie de Joseph et ses frères (1934-1943) au Docteur Faustus (1947), comme la voix même de la ""Sehnsucht"", un monument à la louange de ce qui a été et ne sera plus. Ce serait là fixer la création littéraire au dernier moment de sa possibilité, là où le roman peut encore advenir comme texte ultime. Car c´est bien à une cérémonie des adieux que nous convie celui que l´on a appelé le magicien de la littérature allemande de ce siècle. Sommes-nous prêts, nous ses lecteurs d´aujourd´hui, à devenir les spectateurs de ce crépuscule du sens ? Et à quoi bon écrire quand le monde croule ? Ainsi se formule, dans l´oeuvre de Thomas Mann, la question la plus difficile mais aussi la plus passionnante - sans doute la dernière interrogation de notre littérature européenne.
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Pascal Dethurens, ancien élève de l´Ecole Normale Supérieure, est Professeur à l´Université de Strasbourg, où il dirige l´Institut de Littérature Générale et Comparée. Il est l´auteur de plusieurs livres sur la littérature européenne du XXe siècle."