« Commencé seulement les Âges du monde ». Cette note que Schelling consigne dans son Tagebuch à la date du 27 décembre 1810 donne le coup d’envoi d’un des projets  les plus grandioses qu’un philosophe se soit proposé, retracer sur la  base de concepts philosophiques les étapes de la vie divine et de la  création.
S’il est vrai, comme le disait Novalis, que « vouloir  écrire une Bible est un penchant à la folie que tout homme doit avoir  pour être complet », cette grande fresque cosmique et théologique  représente la tentative la plus magistrale qu’ait menée l’idéalisme  allemand pour rendre compte de la totalité de la manifestation divine et  en proposer une présentation effective et complète. 
Or, dans la dernière version de l’ouvrage, celle-là même que Schelling fit introduire dans ses Sämmtliche Werke et dont nous donnons ici une nouvelle traduction dans la continuité de  celle des brouillons de 1811 et 1813, le récit et la construction  spéculative cherchent encore à atteindre un point d’équilibre. Un double  effort pour implanter la succession au cœur même de l’Absolu tout en  équilibrant en Dieu les rapports de l’idéal et du réel prépare  l’avènement d’une philosophie historique sans ue l’on débouche jamais  tout à fait sur une hétérogénéité radicale de l’être et du penser.
Ainsi,  à travers cette description du passé le plus archaïque, Schelling met  pour la première fois effectivement la philosophie en possession de ce  qu’elle recherche depuis toujours : « la science, c’est-à-dire  l’histoire ».
Introduit, traduit et annoté par Patrick Cerutti.