"« On a reproché à cette étude de n’être pas assez historique, de ne pas se replacer suffisamment au point de vue et au temps de Kant. Assurément, nous n’avons pas cru devoir en éliminer toute préoccupation critique ou dogmatique. Mais, alors que tant d’historiens ont profité du centenaire de la mort de Kant pour comparer sa doctrine aux idées du temps présent, et ont cru pouvoir la louer de s’accorder avec elles, en vanter la vitalité et la modernité, nous avions bien le droit d’instituer, en un autre domaine, une comparaison semblable et d’en tirer, dans ce domaine, des conclusions moins favorables au kantisme. Exiger qu’on juge toujours un philosophe «de l’intérieur», à son point de vue et à celui de son temps, c’est admettre qu’il n’y a pas de vérité en philosophie, qu’un système philosophique est une oeuvre d’art qui ne vaut que par son unité intrinsèque et son harmonie. D’ailleurs, même à ce point de vue, le système de Kant reste encore sujet à critique. Son savant commentateur n’a-t-il pas déclaré que «la Critique de la raison pure est l’oeuvre la plus géniale et la plus pleine de contradictions de toute l’histoire de la philosophie» ? Nous avons eu l’occasion (et l’audace) de remarquer quelques-unes de ces contradictions. En philosophie comme ailleurs, le respect superstitieux du fait historique aboutit au dilettantisme et au scepticisme.»
L. Couturat, Avant-propos, Les Principes des Mathématiques.
Première publication : Revue de Métaphysique et de Morale, mai 1904, Centenaire de la mort de Kant (1724-1804), pp. 321-383.
Repris comme Appendice dans Les Principes des Mathématiques, Paris, Alcan, 1905, réédition Albert Blanchard, Paris, 1980.
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Alexandre-Louis Couturat, né à Paris le 19 janvier 1868, fit ses études au lycée Condorcet, et fut reçu à l’École normale (lettres) dans la promotion de 1887. Premier à l’agrégation de philosophie en 1890, il fit à l’École une quatrième année, comme étudiant les cours de la Faculté des Sciences. Il est alors encore reçu premier à la licence de mathématiques (1892). Nommé le 12 mai 1894 maître de conférences à la Faculté des Lettres de Toulouse, il remplit ces fonctions en 1894 et 1894 1895. Il se marie en avril 1896, et passe ses thèses de doctorat le 12 juin de la même année. Après ces deux ans de congé, il est de nouveau chargé de cours à l’Université de Caen, (octobre 1897). Il y enseigna pendant deux années, puis revint à Paris, où il prend une part active à l’organisation du Congrès de philosophie de 1900 et il cesse définitivement de professer, à l’exception d’un cours, fait au Collège de France, en 1905-1906, à la chaire de M. Bergson qui lui avait demandé de le suppléer. En 1900, puis en 1904, il est chargé d’une mission scientifique à Hanovre pour y étudier les manuscrits inédits de Leibniz.
Il est trésorier de la Délégation pour l’adoption d’une langue auxiliaire internationale (1900 1908); secrétaire du comité de la Délégation (1908), enfin secrétaire de L’Akademio di la linguo internaciona Ido (1910) et de la revue Progreso (1908 1914).
Il est tué le 3 août 1914, à Ris-Orangis, le jour même où l’Allemagne déclare officiellement la guerre à la France: la voiture dans laquelle il rentrait à sa maison de campagne de Bois-le-Roi fut renversée sur la route de Fontainebleau par une lourde automobile lancée à toute vitesse, qui portait des ordres de mobilisation."
"« On a reproché à cette étude de n’être pas assez historique, de ne pas se replacer suffisamment au point de vue et au temps de Kant. Assurément, nous n’avons pas cru devoir en éliminer toute préoccupation critique ou dogmatique. Mais, alors que tant d’historiens ont profité du centenaire de la mort de Kant pour comparer sa doctrine aux idées du temps présent, et ont cru pouvoir la louer de s’accorder avec elles, en vanter la vitalité et la modernité, nous avions bien le droit d’instituer, en un autre domaine, une comparaison semblable et d’en tirer, dans ce domaine, des conclusions moins favorables au kantisme. Exiger qu’on juge toujours un philosophe «de l’intérieur», à son point de vue et à celui de son temps, c’est admettre qu’il n’y a pas de vérité en philosophie, qu’un système philosophique est une oeuvre d’art qui ne vaut que par son unité intrinsèque et son harmonie. D’ailleurs, même à ce point de vue, le système de Kant reste encore sujet à critique. Son savant commentateur n’a-t-il pas déclaré que «la Critique de la raison pure est l’oeuvre la plus géniale et la plus pleine de contradictions de toute l’histoire de la philosophie» ? Nous avons eu l’occasion (et l’audace) de remarquer quelques-unes de ces contradictions. En philosophie comme ailleurs, le respect superstitieux du fait historique aboutit au dilettantisme et au scepticisme.»
L. Couturat, Avant-propos, Les Principes des Mathématiques.
Première publication : Revue de Métaphysique et de Morale, mai 1904, Centenaire de la mort de Kant (1724-1804), pp. 321-383.
Repris comme Appendice dans Les Principes des Mathématiques, Paris, Alcan, 1905, réédition Albert Blanchard, Paris, 1980.
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Alexandre-Louis Couturat, né à Paris le 19 janvier 1868, fit ses études au lycée Condorcet, et fut reçu à l’École normale (lettres) dans la promotion de 1887. Premier à l’agrégation de philosophie en 1890, il fit à l’École une quatrième année, comme étudiant les cours de la Faculté des Sciences. Il est alors encore reçu premier à la licence de mathématiques (1892). Nommé le 12 mai 1894 maître de conférences à la Faculté des Lettres de Toulouse, il remplit ces fonctions en 1894 et 1894 1895. Il se marie en avril 1896, et passe ses thèses de doctorat le 12 juin de la même année. Après ces deux ans de congé, il est de nouveau chargé de cours à l’Université de Caen, (octobre 1897). Il y enseigna pendant deux années, puis revint à Paris, où il prend une part active à l’organisation du Congrès de philosophie de 1900 et il cesse définitivement de professer, à l’exception d’un cours, fait au Collège de France, en 1905-1906, à la chaire de M. Bergson qui lui avait demandé de le suppléer. En 1900, puis en 1904, il est chargé d’une mission scientifique à Hanovre pour y étudier les manuscrits inédits de Leibniz.
Il est trésorier de la Délégation pour l’adoption d’une langue auxiliaire internationale (1900 1908); secrétaire du comité de la Délégation (1908), enfin secrétaire de L’Akademio di la linguo internaciona Ido (1910) et de la revue Progreso (1908 1914).
Il est tué le 3 août 1914, à Ris-Orangis, le jour même où l’Allemagne déclare officiellement la guerre à la France: la voiture dans laquelle il rentrait à sa maison de campagne de Bois-le-Roi fut renversée sur la route de Fontainebleau par une lourde automobile lancée à toute vitesse, qui portait des ordres de mobilisation."