« Une phrase s’élève sous la haute futaie de grès. Comme une phrase musicale. Une intonation, une invocation. Une voix. Venue de quelque part dans l’espace. Indiscernable. Comme si c’était flottant là partout. Audible à tous, comme s’il n’y avait qu’à écouter. Capter cela, venu du plus impalpable de l’air, du plus profond du silence. Cela s’exprime avec une autorité saisissante. Sans contradiction possible, sans délai. Il n’y a qu’à céder. C’est là. C’est dit. Pas moyen de tergiverser, de se défiler. Il faut entendre. Il faut suivre. Ce que dit la phrase. [...] Une portée de mots, nés de rien, sans fin revenant à l’initial accord selon sa propre voie. Trois fois trois arias, en une boucle parfaite et jamais refermée. Car toujours il y a de nouvelles formes, toujours de nouvelles hauteurs, toujours un nouveau pas. La phrase est le seul personnage et le seul décor. Elle porte en elle-même tout l’espace et tout le drame. Peu importe si la scène est celle d’un théâtre ou d’une simple chambre. Le lieu du drame est l’univers : la représentation de l’âme et du corps, dans une pauvre portée de mots » (note finale de l´auteur). La Rappresentazione di Anima et di Corpo, d’Emilio de’ Cavalieri, est le titre du premier oratorio qui fut donné dans la Chiesa Nuova, à Rome, en février 1600, à l´intitiative de Philippe de Neri. Dans sa définition classique, l’oratorio est une œuvre dramatique chantée représentée sans mise en scène, ni costumes, ni décors. Jusqu’à nos jours la relation est restée très étroite entre l’oratorio et la musique profane.
À la trilogie en prose Lumière secrète (Lettres Vives 1995), Naissance de l´invisible (Arfuyen, 1997) et Blasons du corps limpide de l´instant (Arfuyen, 1999), avait succédé une trilogie de poésie : Le tout proche (Lettres Vives, 2002), La transparence (Arfuyen, 2005), Le pays derrière les yeux (Arfuyen, 2009). Marie-Claire Bancquart présentait en ces termes ce dernier recueil : « Dans son très beau Pays derrière les yeux, son hymne à la nuit frappe par son originalité. “Autre chose” assurément que la poésie purement personnelle ou que la poésie cantonnée au monde matériel, la sienne aborde de grandes questions qui intéressent toutes les sensibilités contemporaines : présence du corps et de la mort, valeurs antithétiques qui habitent le silence, le jour et la nuit, mystère du cosmos qui nous enveloppe. Et elle les aborde dans une langue à la fois subtile, ralentie par les coupes, et pleine d´énergie, qui relie à merveille les différents moments de la méditation. »
Le grand silence inaugure une nouvelle trilogie. Si la forme était encore fragmentaire dans les textes de la trilogie précédente, elle se déploie à présent en une composition unique en neuf mouvements (ou arias), où les thèmes, les images et les couleurs s’organisent en une seule ligne tenue du début à la fin, sur le modèle de l’écriture musicale. L’oralité prend dans cette forme une place essentielle, d’où aussi le sous-titre d’oratorio, impliquant un rapport étroit du texte avec une mise en voix et en espace.
Citons ici le début du Grand silence, afin d’en présenter le thème et de faire sentir la nature profondément musicale de sa composition : « mes morts / sont derrière moi // mes morts / me portent // comme un long / profond // sillage / une mêlée // épaule /contre épaule // rang / après rang // courbée / en une seule // obscure / puissance // front / contre front / penchée / en un unique élan // mes morts / sont derrière moi // mes morts / me portent // en avant / toujours // qui sait / vers quoi // vers où / me // portent / me poussent // je reconnais / leurs visages // derrière moi / paisibles // concentrés /dans l’effort //le corps / porté en avant // les yeux /ouverts // grands ouverts / sans ciller jamais // je reconnais / leur visage //mais ils n’ont pas /de voix »
« Une phrase s’élève sous la haute futaie de grès. Comme une phrase musicale. Une intonation, une invocation. Une voix. Venue de quelque part dans l’espace. Indiscernable. Comme si c’était flottant là partout. Audible à tous, comme s’il n’y avait qu’à écouter. Capter cela, venu du plus impalpable de l’air, du plus profond du silence. Cela s’exprime avec une autorité saisissante. Sans contradiction possible, sans délai. Il n’y a qu’à céder. C’est là. C’est dit. Pas moyen de tergiverser, de se défiler. Il faut entendre. Il faut suivre. Ce que dit la phrase. [...] Une portée de mots, nés de rien, sans fin revenant à l’initial accord selon sa propre voie. Trois fois trois arias, en une boucle parfaite et jamais refermée. Car toujours il y a de nouvelles formes, toujours de nouvelles hauteurs, toujours un nouveau pas. La phrase est le seul personnage et le seul décor. Elle porte en elle-même tout l’espace et tout le drame. Peu importe si la scène est celle d’un théâtre ou d’une simple chambre. Le lieu du drame est l’univers : la représentation de l’âme et du corps, dans une pauvre portée de mots » (note finale de l´auteur). La Rappresentazione di Anima et di Corpo, d’Emilio de’ Cavalieri, est le titre du premier oratorio qui fut donné dans la Chiesa Nuova, à Rome, en février 1600, à l´intitiative de Philippe de Neri. Dans sa définition classique, l’oratorio est une œuvre dramatique chantée représentée sans mise en scène, ni costumes, ni décors. Jusqu’à nos jours la relation est restée très étroite entre l’oratorio et la musique profane.
À la trilogie en prose Lumière secrète (Lettres Vives 1995), Naissance de l´invisible (Arfuyen, 1997) et Blasons du corps limpide de l´instant (Arfuyen, 1999), avait succédé une trilogie de poésie : Le tout proche (Lettres Vives, 2002), La transparence (Arfuyen, 2005), Le pays derrière les yeux (Arfuyen, 2009). Marie-Claire Bancquart présentait en ces termes ce dernier recueil : « Dans son très beau Pays derrière les yeux, son hymne à la nuit frappe par son originalité. “Autre chose” assurément que la poésie purement personnelle ou que la poésie cantonnée au monde matériel, la sienne aborde de grandes questions qui intéressent toutes les sensibilités contemporaines : présence du corps et de la mort, valeurs antithétiques qui habitent le silence, le jour et la nuit, mystère du cosmos qui nous enveloppe. Et elle les aborde dans une langue à la fois subtile, ralentie par les coupes, et pleine d´énergie, qui relie à merveille les différents moments de la méditation. »
Le grand silence inaugure une nouvelle trilogie. Si la forme était encore fragmentaire dans les textes de la trilogie précédente, elle se déploie à présent en une composition unique en neuf mouvements (ou arias), où les thèmes, les images et les couleurs s’organisent en une seule ligne tenue du début à la fin, sur le modèle de l’écriture musicale. L’oralité prend dans cette forme une place essentielle, d’où aussi le sous-titre d’oratorio, impliquant un rapport étroit du texte avec une mise en voix et en espace.
Citons ici le début du Grand silence, afin d’en présenter le thème et de faire sentir la nature profondément musicale de sa composition : « mes morts / sont derrière moi // mes morts / me portent // comme un long / profond // sillage / une mêlée // épaule /contre épaule // rang / après rang // courbée / en une seule // obscure / puissance // front / contre front / penchée / en un unique élan // mes morts / sont derrière moi // mes morts / me portent // en avant / toujours // qui sait / vers quoi // vers où / me // portent / me poussent // je reconnais / leurs visages // derrière moi / paisibles // concentrés /dans l’effort //le corps / porté en avant // les yeux /ouverts // grands ouverts / sans ciller jamais // je reconnais / leur visage //mais ils n’ont pas /de voix »